Les folles épopées polaires
« L’âge héroïque de l’exploration polaire »
Fin XIXème, l’exploration de l’Antarctique reste le dernier grand défi géographique et scientifique mondial. Le 6ème Congrès International de Géographie, en 1895, appelle à relever le défi. Diverses expéditions embarquent tant dans une perspective scientifique que pour vivre l’aventure ultime de la conquête du pôle sud. Les grandes limites du tracé géographique du continent austral sont établies durant cette période. La dernière île antarctique est découverte en 1902, l’île Scott.
Début XXème, en 1901, quatre expéditions, anglaise, allemande, suédoise et écossaise organisent un vaste programme pour la découverte de l’Antarctique. La première (1901-1904), Discovery, du capitaine anglais Robert Falcon Scott allie tentatives de gagner le pôle sud et recherches magnétiques, biologiques, météorologiques, océanographiques et géologiques. Elle compte parmi ses membres Ernest Shackleton, dont la notoriété se fera connaître quelques années plus tard avec l’expédition de l’Endurance. Fin 1902, Shackleton tente pour la première fois, en compagnie de Scott et d’un autre compagnon, d’atteindre le pôle avec des vivres et des chiens. En vain. (1)
L’expédition allemande du Dr von Drygalski stationne sur les îles Kerguelen et explore une partie de l’Antarctique sud. Il est le premier à utiliser pour l’occasion un ballon à air chaud. En 1903, il découvre de nouveaux territoires : la terre Guillaume II ainsi que le volcan Gaussberg. Von Drygalski rapporte d’importantes données scientifiques, notamment concernant l’île d’Heard dont il est le premier à étudier la géologie, la faune et la flore.
En 1901, le suédois Otto von Nordenskjöld et son équipe scientifique sont déposés sur l’île Snow Hill. Durant une année complète, la mission explorera la péninsule antarctique nord (la Terre de Graham) ainsi que ses îles alentours (île James Ross, île Joinville, archipel Palmer). Mais alors qu’il est en route pour chercher le personnel de la mission scientifique, l’Antarctic est pris dans les glaces. Sa coque est broyée et le navire coule. L’équipage est alors contraint d’hiverner sur l’île Paulet. Au printemps 1903, sans nouvelles du bateau, la marine argentine affrète l’Uruguay pour retrouver l’Antarctic disparu. La mission scientifique d’Otto von Nordenskjöld est alors secourue, un an après la date initialement prévue, ainsi que les survivants de l’Antarctic sur l’île Paulet. Véritable gouffre financier, cette expédition n’en demeurera pas moins un succès sur le plan scientifique, rapportant de précieux spécimens géologiques et de faunes marines.
Quant à la France, qui n’a plus pris part à l’exploration polaire depuis la découverte de la Terre Adélie en 1840, elle marquera la recherche scientifique en Antarctique par l’organisation de deux missions sous le commandement de Jean Baptiste Charcot. La première expédition (1903-1905) est caractérisée par le charisme de Charcot à bord du Français et par son important bilan scientifique : « 1000 km de côtes nouvelles reconnues et relevées, 3 cartes marines détaillées, 75 caisses d’observations, de notes, de mesures et de collections destinées au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris ». Mais au delà des chiffres, les recherches scientifiques de Charcot revêtent un caractère considérable, permettant d’établir de manière précise des connaissances jusqu’alors inexactes ou incomplètes en raison de la difficulté d’accès de cette région polaire.
La seconde expédition Charcot s’effectue à bord du Pourquoi Pas ? (1908-1910) (2) . L’expédition hiverne sur l’île Petermann et pousse les reconnaissances très au sud de l’île Adelaïde, dans la baie Marguerite, ce qui permet à Charcot de délimiter un meilleur tracé de la Terre Alexandre 1er (3). L’exploration permettra de découvrir une terre inconnue, à laquelle le commandant attribuera le nom de Charcot, en hommage à son père. Mais l’euphorie, qui caractérisait la première expédition, n’est pas au rendez-vous cette fois-ci. Le bateau a subi des avaries, des membres de l’équipage sont atteints du scorbut dont Charcot, l’épuisement est général ce qui amène le commandant à donner l’ordre du retour. Au Chili à Punta Arenas, Charcot télégraphie à l’Académie des Sciences de Paris : … Avions rêvé davantage. Avons fait du mieux possible.
Les expéditions emmenées para Jean Baptiste Charcot rapportèrent de considérables données scientifiques dans le domaine de l’hydrographie, la géologie, la botanique et la zoologie. On doit en outre à Charcot d’être le premier homme de sciences à attirer l’attention sur l’exploitation excessive des animaux marins en Antarctique.
La conquête des pôles
Tout début XX ème siècle, les pôles sud géographique et magnétique n’ont pas encore été atteints par l’homme. Ernest Shackleton, après son échec en compagnie de Falcon Scott, organise sa propre expédition à leur conquête. A la tête du Nimrod, il débarque en 1908 au cap Royds sur la Terre Victoria. Pour atteindre le pôle sud géographique, Shackleton attèle des poneys de Mandchourie à la place de chiens, chargés de remorquer le matériel. Mais les terribles conditions climatiques viennent à bout des bêtes. Les quatre hommes de l’expédition sont contraints de faire demi-tour à 180 km du pôle après 128 jours de marche et 3000 km parcourus.
Commandant en second de Shackleton, l’australien David se lance à la conquête du pôle sud magnétique en septembre 1908. Les trois membres de l’expédition tirent chacun 300kg de vivres et de matériels, ajoutant études géologiques à leur progression en direction du pôle. Après presque quatre mois de traversée et 2000 km parcourus au prix d’incroyables efforts, l’expédition atteint son but le 15 janvier 1909. (4)
En 1911, suite à l’échec de Shackleton, deux nouvelles expéditions en compétition se lancent à la conquête du pôle géographique. Roald Amundsen, aventurier polaire norvégien, organise méthodiquement sa progression en Antarctique depuis la baie des Baleines (5) tandis que Robert Falcon Scott établit sa base au Cap Evans sur l’île de Ross (6). Le 14 décembre 1911, Amundsen avec trois de ses compagnons, chacun attelé de 13 chiens et tirant 400 kg de vivres et de matériels, parvient le premier au pôle sud (7). 99 jours auront suffi à l’expédition pour gagner le pôle et en revenir.
Quant à Scott, il atteint le pôle sud 33 jours après Amundsen et comprend, désemparé, qu’il a été devancé. Les conditions climatiques épouvantables du retour auront raison des cinq derniers hommes de l’expédition qui meurent de faim et de froid sous leur tente (8). Ironiquement, c’est l’aventure, vécue par Scott et ses hommes, qui captera l’attention du monde, en lieu et place de l’exploit réalisé par Amundsen. Alors que la traversée effectuée par ce dernier ne relève que de l’exploit physique, l’expédition menée par Scott poursuit un objectif scientifique admiré par le public. Parti avec 13 hommes, 19 poneys, 34 chiens, seul Scott et 4 de ses hommes parviennent au pôle. Au retour, alors qu’ils sont épuisés et doivent rejoindre la base du Cap Evans au plus vite, ils s’arrêtent encore deux jours durant pour récolter des échantillons géologiques et charger 16 kilos de roches sur leur traîneau.
La fin de l’âge héroïque de l’exploration polaire
Suite à la conquête du pôle, l’âge héroïque de l’exploration polaire touche à sa fin. Ernest Shackleton prépare une ultime et ambitieuse expédition : la traversée intégrale de l’Antarctique. Débarquant au nord-ouest du continent depuis la mer de Weddell, Shackleton envisage d’entreprendre une marche de 3600 km franchissant le pôle pour rejoindre une seconde équipe venant à sa rencontre depuis la mer de Ross, au sud du continent (9). Mais en lieu et place de cette folle expédition, Shackleton et son bateau, le trois-mâts goélette l’Endurance, vivent une aventure rocambolesque.
L’équipage embarque sur l’Endurance et trouve en décembre 1914 des conditions glacières exceptionnellement dures en mer de Weddell. En janvier 1915, le bateau finit prisonnier des glaces et sombre en novembre de la même année. Les hommes installent alors un campement sur un bloc de glace surnommé le « camp Océan ». Lorsque la glace finit par se briser trois mois plus tard, l’équipage embarque à bord des canots de sauvetage et va trouver refuge sur l’île de l’Éléphant (au nord de la Péninsule Antarctique). Nous sommes alors en avril 1916 ! L’hiver approchant et l’île se situant à l’écart des routes empruntées par les navires de l’époque, il devient urgent d’aller chercher des secours. Shackleton et 5 hommes reprennent alors la mer à bord d’un canot de 7 mètres et rament 1300 km pour trouver de l’aide en Georgie du Sud. Après une traversée périlleuse de 17 jours sur l’une des mers les plus agitées au monde, l’embarcation atteint enfin sa destination.
Toutefois, débarquer sur la côte nord habitée de Georgie du Sud se révèle impossible en raison des conditions météo exécrables et l’équipage n’a d’autre choix que d’accoster de l’autre côté de l’île. Il lui faut alors entreprendre la traversée de la chaine montagneuse pour rejoindre la station baleinière de Stromness. Trois des six compagnons munis d’une simple corde et de quelques vivres se risquent au périple. Le 20 mai 1916, après 36 heures de marche et d’escalade périlleuse, la station baleinière est en vue. En août 1916, le remorqueur chilien Yelcho parvient, après 4 tentatives, à récupérer l’équipage de l’Endurance, sein et sauf resté sur l’île de l’Éléphant. Quant au second navire, l’Aurora, devant récupérer l’expédition Shackleton en mer de Ross, il disparut dans une tempête de neige alors que les hommes étaient à terre. En 1917, seuls 7 survivants purent être secourus.
A cette époque, la Première Guerre Mondiale bat son plein. Ceci explique sans doute le peu d’intérêt porté à ces expéditions et à leur disparition. La guerre marque également la fin de cette ère rocambolesque.
Sources :
(1) Pour un récit détaillé des aventures de Scott et Shackleton à cette époque lire : http://transpolair.free.fr/explorateurs/scott/sud_1er_exp.htm
(2) Lire également http://www.pourquoipaslantarctique.com/Charcot/voyagePPA.asp
(3) Tracé de la seconde expédition du Pourquoi pas ? http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Itin%C3%A9raire_du_Pourquoi-pas.svg
(4) Le récit détaillé de cette incroyable expédition sur http://transpolair.free.fr/explorateurs/shackleton/1er_expedition.htm
(5) Localisation de la baie des Baleines http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Antarctica_-_Location_of_the_Bay_of_Whales.png
(6) Localisation du Cap Evans sur l’île de Ross http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:IledeRoss.png
(7) Lire : http://transpolair.free.fr/explorateurs/amundsen/pole_sud.htm
(8) Lire : http://transpolair.free.fr/explorateurs/scott/sud_2eme_exp.htm
(9) Localisation de la mer de Weddell, du pôle sud et de la mer de Ross http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Antarctique_carte.png