Ernest Shackleton, héros de l’Antarctique
Par Hugues Derouard
L’anglo-irlandais Ernest Shackleton est considéré comme l’un des premiers grands explorateurs du monde polaire. Ses expéditions héroïques, son courage et sa solidarité envers ses équipiers marquèrent des générations d’aventuriers.
Il mourra lors de sa dernière expédition en Antarctique en 1922 à l’âge de 47 ans.
Né en 1874 en Irlande, Ernest Shackleton passe son enfance entre l’Angleterre et l’Irlande. Élève agité, nourri de poésie et des romans d’aventure de Jules Verne, il quitte vite l’école, à 16 ans, malgré ses bons résultats. Il navigue sur un voilier plusieurs années pour apprendre le métier de marin et entre dans la marine marchande. En 1896, il obtient son grade de second capitaine et, deux ans plus tard, devient capitaine. Il naviguera notamment sur la ligne Southampton-Le Cap.
Grâce à son enthousiasme et à son culot, il se fait engager pour Discovery, la première expédition polaire britannique, organisée à l’initiative de la Royal Society et de la Royal Geographic Society. Il quitte ainsi la marine marchande pour devenir le troisième officier sur le RRS Discovery, le navire de l’expédition, qui quitte Londres en 1901 pour la côte antarctique –débarquement dans le détroit de McMurdo.
Avec le scientifique Robert Falcon Scott, chef de l’expédition, il atteindra, en chiens de traîneaux, depuis leur camp de base de l’île de Ross, une latitude record le 31 décembre 1902 : 82° 17’ de latitude Sud, soit à 860 km environ du pôle. Atteint de scorbut et vraisemblablement quelque peu jalousé par Scott, qui voit en lui un « rival », il quitte l’expédition en 1904.
Sa première expédition au pôle Sud
Assoiffé de gloire et de nouveaux horizons, Ernest Shackleton monte, après avoir trouvé avec difficulté des soutiens financiers, sa première expédition : Nimrod, du nom du bateau, un trois-mâts goélette. L’objectif ? Tout simplement la conquête du pôle sud géographique et du pôle sud magnétique.
Le 1er janvier 1908, le bateau quitte le port de Lyttleton en Nouvelle-Zélande, mais le poids du chargement et le calamiteux état du bateau mènent très vite l’expédition vers… un naufrage ! Le navire est remorqué sur la Terre Victoria, où, durant de longs mois, les membres de l’équipage vont patienter dans une cabane jusqu’à l’été austral. Une station météorologique est créée et Shackleton entreprend, notamment, l’ascension du mont Erebus sur l’île volcanique de Ross. Le 26 septembre 1908, un premier groupe part enfin à la conquête du pole Sud magnétique qui sera atteint le 15 janvier 1909.
D’un autre côté, Shackleton et certains de ses équipiers tentent d’atteindre le pôle Sud géographique. Équipés de traîneaux tractés par des chiens mais aussi des poneys de Mandchourie, ils quittent le cap Royds, leur camp de base, sur l’île de Ross, le 29 octobre 1908. Cette éprouvante longue marche australe, à travers un relief escarpé et un climat extrême, les réduit physiquement et moralement.
Après plus de deux mois, et quelque 3000 kilomètres, épuisés, affamés, ils décident de revenir sur leurs pas, à 180 km du pôle sud, à 88°23 ’Sud. Le but initial n’est pas atteint, mais Shackleton et les membres de l’expédition ont toutefois battu un record : personne d’autre ne s’était jusqu’alors approché si près du pôle Sud.
Cette expédition confirme également que l’Antarctique est bel et bien un continent. Ernest Shackleton, dès lors surnommé the boss, est anobli par Edouard VII et donne d’innombrables conférences sur son expérience dans le monde polaire.
L’incroyable aventure de l’Endurance
Insatiable, Shackleton reprend en 1914 le chemin de l’exploration australe : il est à la tête de la British Imperial Trans-Antarctic Expedition, trois ans après que le Norvégien Roald Amundsen a atteint le pôle Sud. Cette nouvelle expédition a pour but de réaliser une autre prouesse : la première traversée à pied de l’Antarctique, en passant par le pôle Sud, soit 3.300 km de la mer de Wedell à la mer de Ross. Malchance : le 16 janvier, quelques semaines seulement après avoir quitté la Géorgie du Sud, l’Endurance, nom de l’un des bateaux de l’expédition, est pris par les glaces. Il restera immobilisé durant des mois.
L’équipage évacue le bateau le 27 octobre 1915 lorsque la coque, broyée par la banquise, se disloque. Les vingt-huit hommes de l’expédition Endurance vivent désormais « accrochés » sur d’immenses blocs de glace, dans un froid polaire.
Trois mois et demi plus tard, alors que la banquise sur laquelle ils dérivent commence à se fissurer, les explorateurs jettent leurs canots à l’eau pour débarquer le 18 avril 1916 sur l’île Elephant, un rocher désert et glacial.
Tandis que l’équipage resté à terre se construit un abri de fortune, Shackleton embarque avec cinq hommes à bord d’une chaloupe pour rejoindre, 1.400 kilomètres plus loin, la Géorgie du Sud. Mission : aller chercher des secours auprès des baleiniers.
Ils y accostent deux semaines plus tard mais du mauvais coté : les stations baleinières se trouvent sur l’autre versant de l’île. Shackleton et ses hommes entreprennent alors, à bout de souffle, la traversée de la Géorgie du Sud, affamés et frigorifiés dans leurs haillons.
Tels des alpinistes, ils franchissent la montagne de l’île, encordés, et atteignent enfin leurs sauveurs 36 heures plus tard.
Une happy end : à la fin août 1916, un remorqueur chilien secourt enfin les membres de l’équipage restés sur l’île Elephant. Tous ont miraculeusement survécu.
Perdant magnifique
Immortalisée par le photographe de l’expédition, Frank Hurley, l’expédition Endurance –pourtant ratée– est aujourd’hui considérée comme la plus grande aventure de l’exploration de l’Antarctique. Elle forgea l’image de « héros » d’Ernest Shackleton.
Perdant magnifique, il devient celui qui fait passer le salut de ses équipiers avant ses ambitions personnelles, au péril de sa vie.
« Telle est la vertu première de l’aventurier digne de ce beau nom, dira Paul-Emile Victor. Faire que l’aventure soit déjà en elle-même, par-delà les aléas du meilleur et du pire, du succès et de l’échec, un accomplissement. À quoi réussit, ici mieux qu’aucun autre que je sache, Shackleton le Grand. »
Le dernier voyage
En 1921, Shackleton entreprend un nouveau périple, avec le soutien financier d’un ancien camarade de classe, John Quiller Rowett.
Mission ? Effectuer un tour du continent Antarctique et de ses îles mal localisées. Le Quest, un baleinier parti d’Angleterre le 21 septembre, fait une première escale à Rio de Janeiro, où Shackleton est vraisemblablement victime d’une crise cardiaque.
Cela ne l’empêchera pas de poursuivre le voyage. Mais le 22 janvier 1922, alors qu’ils viennent de jeter l’ancre dans le port de Grytwiken, en Géorgie du Sud, ce travailleur acharné -et grand buveur1– meurt subitement. Sa disparition annonce la fin d’une époque, celle de la course à l’exploration du dernier continent vierge.
Il deviendra bientôt une légende pour les marins, les explorateurs du monde polaire ou même les montagnards. Ainsi, l’alpiniste Edmund Hillary, le premier à avoir gravi l’Everest, en 1991, dira que Ernest Shackleton fut son modèle de jeunesse.
Sa tombe est aujourd’hui visible en Géorgie du Sud, au pied de la montagne Ducie Fell. Là même où il était venu chercher héroïquement du secours pour sauver son équipage.
1 Des lots de bouteilles de whisky « spécialement préparées » par Mackinlay étaient embarquées à bord lors des expéditions de Shackleton. Trois caisses de ces bouteilles ont récemment été retrouvées en Antarctique. Un whisky de plus de 100 ans d’âge qui n’a pas de prix …